En devenant un hôtel, La Mirande est restée une demeure et protège mieux encore son histoire que bien des palais conservés pour la simple visite ou l’accueil d’un musée.
Des Romains à la papauté "babylonienne", de la France pré-révolutionnaire à aujourd'hui, La Mirande est un point de repère dans la ville, étroitement lié à l’histoire d’Avignon et de son Palais des Papes. Un patrimoine et une histoire sans fin qui invitent à l'imaginaire.
Bien qu’on ait trouvé autrefois des restes d’édifice romain, l’histoire commence avec l’installation des papes en Avignon, en 1309. Parmi les cardinaux qui accompagnent Clément V, son neveu, le cardinal de Pellegrue, fait construire une « livrée », ainsi qu’on nomme la demeure d’un cardinal, sur un emplacement privilégié voisin du palais des Papes. Jusqu’au siège du Palais en 1410, qui voit son incendie et sa destruction partielle, la livrée reste entre les mains de cardinaux, notamment Hugues Roger, frère de Clément VI, et Hugues de Saint-Martial, le dernier titulaire.
En 1653, La Mirande est vendue à Claude de Vervins, avocat. À sa mort, son fils Pierre, marquis de Bédouin, fait édifier la façade que l’on connaît aujourd’hui, une œuvre parfaitement classique de l’architecte Pierre Mignard, fils et neveu de Nicolas et Pierre Mignard, tous deux peintres du roi Louis XIV dont ils firent de nombreux portraits.
Jusqu’en 1796, c’est la descendance de Pierre de Vervins qui occupe la résidence. À cette date elle est vendue à Jean-Baptiste Bénézet-Pamard, officier de santé. Signe des temps, La Mirande ne sera plus jamais l’apanage de l’aristocratie. Devenue « l’hôtel Pamard », elle reste, pour deux siècles, en possession d’une grande famille avignonnaise, dont l’un des membres sera maire et modifiera la ville selon les préceptes du baron Haussmann.
On peut rêver aujourd’hui de cette longue période et de la vie que pouvait mener une bourgeoisie qui fut proche de Napoléon III, enclose dans le sombre décor néogothique installé au temps de Viollet-le-Duc, au milieu des lourdes tentures et des tableaux du XIXe siècle. Une vie secrète et mystérieuse, comme on l’imagine toujours à propos de ce siècle qui sut si bien protéger l’intimité en inventant la vie privée.
Au XXe siècle commence le déclin de ces belles et fières demeures. En 1966, comme dans un dernier sursaut, le lieu prête son cadre au film de Jacques Rivette, « La Réligieuse », adapté du roman éponyme de Diderot avec Anna Karina dans l’un de ses plus beaux rôles – film qui allait créer un scandale jusqu'au plus haut niveau de l'Etat.
Sombre et secret, c’est bien ainsi que la famille Stein, nouvel acquéreur, a effectivement découvert le bâtiment en 1987. En trois ans, les Stein vont faire de La Mirande un objet unique et réussir ce qui est leur intention dès le départ : donner l’impression d’une maison où s’additionnent les décors depuis trois siècles. Le décorateur parisien François-Joseph Graf et l’architecte avignonnais Gilles Grégoire les aident à formaliser leurs idées pour faire du mélange des styles des XVIIIe et XIXe siècles un ensemble harmonieux qui respecte infiniment plus le caractère du bâtiment que les aménagements précédents.
Il est aujourd’hui très surprenant de découvrir une restauration réalisée de manière aussi juste à travers un projet d’hôtel. Les Stein ont su résoudre en toute liberté le problème qui se pose régulièrement aux architectes des Monuments Historiques : que doit-on conserver, quelle époque doit-on mettre en avant ? Car ce qui nous vient du plus lointain passé est presque toujours composite. Il faut trier, prendre le risque d’un choix pour trouver la vérité, l’âme d’un lieu. La restauration n’est pas une science exacte mais un art et transforme celui qui en a la charge en artiste.
L’hôtel est nommé d’après la célèbre salle du Palais des Papes, La Mirande, aménagée par les représentants des Papes pour recevoir les notables de la ville et les hauts dignitaires de passage dans la cité.
La Mirande était une grande pièce rectangulaire de 18 mètres de long sur 8 mètres 50 de large, éclairée par huit fenêtres, aux murs tendus de cuir doré. C'était la salle des fêtes et des banquets, où l'on donnait bals et concerts lors des réceptions d'invités de marque, ducs et princes faisant séjour en Avignon. A l'occasion des fêtes de Noël, le vice-légat, maître du palais après le départ des Papes, y offrait trois banquets traditionnels, pour le clergé, pour la noblesse et pour les magistrats. Le souvenir de ce lieu extraordinaire s'est perpétué, longtemps après la destruction, en laissant son nom à la place de La Mirande, parfois écrite l'Amirande pour mieux rappeler l'origine étymologique de ce nom : salle "admirable".
L’étonnante présence de La Mirande, fruit d’un renouveau qui fut une aventure intense, fait sentir à quiconque l’approche, de près ou de loin, l’écho du tumulte des siècles. Résurrection de splendeurs anciennes, réminiscence de l’esprit des Lumières, La Mirande, véritable “hôtel patrimoine”, est une histoire sans fin qui provoque l’imagination. (adapté d’un texte de Claude Eveno).